Des programmes universitaires pour répondre aux besoins économiques (et linguistiques) ?

ON A LE CHOIX - Lors du conseil municipal du 26 mai dernier, le vice-recteur de l’université d’Ottawa est venu présenter les résultats de l’étude de faisabilité économique pour l’établissement de cours universitaires à Cornwall.
Yves Pelletier

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Delphine Petitjean - Rédactrice en chef

On a le choix

Delphine Petitjean
IJL-Réseau.Presse-On a le choix

Rédactrice en chef et journaliste

Delphine est diplômée en études de la communication et des médias ainsi qu'en rédaction web et enseignement. Elle a débuté en presse écrite en Belgique, puis s'est dirigée vers le domaine de l'insertion professionnelle et de la formation. Au Canada, elle a été chargée de projet, a eu quelques collaborations en rédaction, avant de se former à la réalisation documentaire et de co-fonder On a le choix Média.

Aux origines

C’est au conseil municipal du 14 mai 2024 que le conseiller Fred Ngoundjo avait introduit une résolution en vue d’étudier la faisabilité d’instaurer des cours universitaires en ville.

Conseil municipal de Cornwall
Conseil municipal de Cornwall du 26 mai 2025
Raphaël Machiels - On a le choix

« Il est donc résolu que le Conseil municipal demande à l’Administration de conclure une entente avec l’équipe de l’Institut de développement institutionnel de l’Université d’Ottawa afin de réaliser une analyse de rentabilité pour les cours et programmes postsecondaires offerts à Cornwall, au plus tard le 1er octobre 2024. », pouvait-on lire à l’agenda du jour.

« Il est également résolu que le Conseil municipal confirme l’attribution de 60 000 $ provenant des réserves de fonctionnement pour soutenir cette initiative stratégique. »

L’Université d’Ottawa avait confirmé son intérêt à établir d’éventuels cours satellites à Cornwall et le vice-recteur, Yves Pelletier, présent de la résolution, avait pris en charge le dossier.

« Discussions houleuses »

Le 14 mai 2024, certains collègues de Fred Ngoundjo s’étaient montrés sceptiques quant à la pertinence de l’étude proposée.

« Je ne veux pas être défensive, mais St Lawrence College et Eastern Ontario Training Board font ça tout le temps. » avait laissé tomber Elaine MacDonald, mentionnant l’adaptabilité des établissements locaux aux besoins de la communauté.

Dean Hollingsworth avait demandé des clarifications sur le fait que l’Université d’Ottawa choisisse elle-même la firme de consultance chargée de l’étude.

Carilyne Hébert avait quant à elle indiqué qu’elle connaissait des organisations locales qui pouvaient réaliser le travail pour une fraction du prix, disposant déjà d’une quantité importante de données.

En outre, l’Université d’Ottawa a proposé des cours à Cornwall par le passé, avant de se retirer en 2019. Certains membres du conseil étaient donc échaudés, estimant que réétudier la question était potentiellement inutile.

Elaine MacDonald - Conseillère municipale
Elaine MacDonald - Conseillère municipale
Raphaël Machiels - On a le choix

« Vous étiez là il y a 5 ans et vous êtes partis. S’il vous plaît, pourquoi ? », avait lancé Elaine MacDonald au vice-recteur. Qu’est-ce que vous saviez alors que vous pensez ne pas savoir maintenant ? […] Vous ne pouvez pas venir juste sur base de nos besoins. Vous n’êtes pas une œuvre de charité, vous devez aussi comprendre quels sont vos avantages. », avait-elle poursuivi.

La conseillère avait également demandé à Yves Pelletier en quoi l’option des cours à distance représenterait une université spécifique à Cornwall. Celui-ci avait répondu qu’il ne pouvait pas se prononcer avant d’avoir entendu la communauté.

La firme Pricewaterhouse Coopers (PwC) a finalement été désignée pour réaliser l’étude de faisabilité, sous la recommandation de l’Université d’Ottawa. Même si le conseil municipal a décidé d’aller de l’avant, cela n’a donc pas été sans peine.

Un manque à gagner

Lors d’une entrevue le samedi 31 mai dernier, le conseiller Ngoundjo s’est souvenu des dissensions intervenues il y a un an : « On a eu des discussions houleuses ».

Même si d’autres études de faisabilité autour de l’université ont été réalisées par le passé, l’élu a voulu reprendre le dossier, car il estime qu’il faut penser au futur.

« Pour les parents, on constate qu’il y a beaucoup d’enfants qui quittent après le secondaire. Ils vont dans les grandes métropoles, Montréal ou Ottawa, pour les études universitaires. Le second problème, c’est que la population de Cornwall stagne à 48 000 habitants depuis presque un demi-siècle. On a envie d’avancer, on a des défis et une population vieillissante. Donc, comment réussir à garder ces jeunes-là, avec leur expertise dans notre communauté ? L’autre problème auquel on est confrontés, même dans l’administration, c’est qu’on n’arrive pas à recruter des gens. On est obligés d’aller chercher des compétences à l’extérieur. »

Fred Ngoundjo
Fred Ngoundjo - Conseiller municipal
Raphaël Machiels - On a le choix

On a un parc industriel fort, mais pas diversifié. Si on a une université ou des programmes universitaires, on pourra développer des niches de spécialisation qui vont permettre qu’on ait une expertise et qu’on réponde aux besoins de notre communauté [...] C’est un puissant levier économique. Ça apporte beaucoup de revenus : le logement, l’employabilité, le niveau de vie.

L’instigateur de l’étude de faisabilité indique qu’il ne s’agit pas de construire un campus universitaire en ville, car les coûts seraient trop importants, mais bien que des professeurs se déplacent dans des locaux existants. L’option des cours virtuels est toujours d’actualité également.

Présentation du rapport final

Le 26 mai dernier, Yves Pelletier est venu en personne présenter le rapport final de l’étude réalisée par PwC.

Yves Pelletier
Yves Pelletier - Vice-recteur de L'Université d’Ottawa
Raphaël Machiels

« Entre 2016 et 2021, Cornwall a expérimenté une légère augmentation des individus sans emploi. Vous êtes 2, 5 % plus haut que la moyenne de la province. »

Le vice-recteur a listé quatre secteurs d’activité principaux pour la région, à savoir : la santé, les services sociaux, le commerce de détail et la manufacture. L’étude démontre également que le salaire médian à Cornwall (39 320 $) demeure inférieur à celui de l’Ontario (45 660 $).

Concernant la plus-value éventuelle de programmes universitaires, des entrevues ont été menées avec un groupe d’employeurs et d’organisations recommandés par l’administration municipale. Un sondage en ligne ainsi qu’une session d’engagement citoyen ont aussi été réalisés.

Les résultats des interviews sont mitigés. Certains voient le potentiel de l’université pour soutenir la croissance économique en développant les compétences et en attirant les talents. Les personnes interrogées ont identifié des programmes universitaires ciblés, notamment dans les secteurs de la santé, de l’ingénierie et du leadership en affaires, comme des domaines à fort potentiel. Certains ont soulevé que, si ces postes hautement qualifiés sont importants, de nombreux manques immédiats sur le marché du travail de Cornwall correspondent davantage aux cours de niveau collégial axés sur les métiers. La réussite à long terme de la création d’une université dépendrait de la résolution de défis plus vastes, tels que les besoins de financement et les lacunes en matière de logement et d’infrastructures pour les étudiants et les jeunes familles.

Le coût de la vie, l’accès au logement… ces problèmes sont dominants plus que tout ce que j’ai vu dans les autres communautés.

Dans son rapport, la firme PwC a aussi présenté une étude de cas afin de permettre aux élus d’appuyer leur décision sur un comparatif. L’université Nippissing de North Bay a été choisie.

« North Bay est presque authentique au niveau de la population. », a indiqué Yves Pelletier.

« L’Université Nipissing attire 3 500 étudiants à temps plein. « Qui peut dire que Cornwall n’en attirera pas autant ? »,  a-t-il souligné plus loin, ajoutant que l’Université Nipissing emploie plus de 1 000 personnes.

« En termes de contribution globale, selon cette étude, les retombées économiques de Nipissing, si elle était située ici à Cornwall, s’élèveraient à 123 millions de dollars par an. »

Deux visions pour un même problème

Après avoir entendu les conclusions du rapport, les conseillers ont pris la parole. « On ne peut pas avoir cette conversation sans engager les problèmes fondamentaux comme le logement. On ne peut pas considérer établir une université ici si nous n’avons pas les logements en place pour les étudiants, c’est une barrière fondamentale. », a insisté Carilyne Hébert, demandant également s’il existe des preuves que les entreprises de la région commenceront à créer des emplois exigeant une formation universitaire.

« Le rapport met aussi en lumière que le revenu local est en dessous de celui de la province. En 2021, le revenu moyen était de 41 000 $, donc 16 % plus bas que la moyenne ontarienne. Ce qui est un signal que nous devrions faire plus que juste parler d’éducation. Nous devons investir dans nos programmes sociaux et de soutien. L’éducation est une partie d’un problème complexe qui est la pauvreté. Je soutiens l’éducation, mais nous devons être attentifs. », a poursuivi l’élue, suggérant d’investir davantage dans les programmes collégiaux locaux.

Lors de l’entrevue du samedi 31 mai dernier, le conseiller Ngoundjo a répondu aux préoccupations exprimées avec une vision différente. « Le problème numéro un, c’est le logement. Est-ce que pendant qu’on s’occupe du logement, on peut anticiper pour donner à nos habitants la capacité, dans 2,3,4, 5 ans d’avoir accès à de meilleurs logements ? », a-t-il soulevé.

« Le rapport qu’on a reçu nous dit qu’on est une population avec un revenu moyen inférieur de 27 % comparé au reste de l’Ontario et nous tous, en Ontario, avons le même problème de logement. Les mêmes entreprises qui doivent construire, où iront-elles construire les maisons ? […] L’entrepreneur ira en premier où les personnes ont les moyens. Interrogé pour savoir si des personnes en situation de précarité peuvent réellement s’en sortir par le moyen d’études universitaires, le conseiller mise sur la versatilité d’une offre de certificats pour permettre de cheminer dans un parcours académique, tout en continuant à travailler.

Autour de la table, d’autres élus ont exprimé des arguments en défaveur des cours universitaires. C’est le cas notamment de Claude McIntosh.

« Mon frère était soudeur, il faisait 80 000 $ l’année et ses enfants avec un baccalauréat font 15 000 $ de moins. Les métiers spécialisés sont très en demande. »

Claude McIntosh
Claude McIntosh - Conseiller municipal
Raphaël Machiels - On a le choix

À cela, le conseiller Ngoundjo répond qu’une formation universitaire donne plus de possibilités de réorientation et met l’accent sur l’agilité nécessaire dans le monde professionnel d’aujourd’hui.

Nouveaux arrivants, nouveau visage

« Les réalités de Cornwall ont changé. On a 300 % de taux d’acceptation de nouveaux arrivants. […] Si on ne prend pas d’initiative maintenant, dans 5 ans, on va se retrouver avec toutes ces personnes-là qui ne seront pas qualifiées et la conséquence immédiate, ça va être une augmentation de l’insécurité, avec des problèmes de racisme croissants. […] La CFA (Communauté francophone accueillante) nous apporte beaucoup d’opportunités. Heureusement, on avait déjà commencé à discuter le projet d’université avant, mais au final, les deux s’imbriquent de manière très agencée, je dirais, parce que la CFA pourrait être une porte d’entrée pour les nouveaux arrivants qui iraient dans ces programmes. », a précisé Fred Ngoundjo.

Certains conseillers se sont aussi montrés a priori favorables à l’établissement de l’université dans la région. C’est le cas de Sarah Good, interpellée par une donnée en particulier. En effet, selon les informations communiquées par Yves Pelletier, au-delà d’une distance de 18 km avec l’établissement scolaire, les statistiques démontrent que les jeunes ont tendance abandonner un projet d’études universitaires.

« J’ai parlé à des immigrants récents qui sont établis avec leur famille et ils sont vraiment consternés qu’il n’y ait pas une université ici et que leurs enfants grandissants quittent. »

Et le français ?

Le conseiller Ngoundjo rappelle que les programmes universitaires seraient avant tout définis sur base de la demande.

« Les programmes doivent répondre aux besoins de notre communauté. […] C’est vrai qu’il y a une composante francophone importante, c’est une évidence. S’il s’avère que les employeurs ont besoin de personnes compétentes en français et en anglais, ce serait bien d’avoir des programmes en français. […] C’est une évidence aussi qu’il serait favorable que notre communauté renforce son français parce que dans les statistiques que nous avons dans le rapport, il s’avère que la communauté francophone de Cornwall est en train de fondre comme neige au soleil (-8,8 % pour Cornwall entre 2016 et 2021), c’est une réalité. Les francophones quittent la ville […] Je vais prendre le cas des nouveaux arrivants francophones par exemple, j’en connais plein qui ont décidé de partir. »

Interrogé sur les raisons de ces départs et à savoir si le travail en français à Cornwall constitue trop souvent une utopie, l’élu répond : « Rien n’est utopique. Le français, c’est une langue officielle, existante, ce n’est même pas un débat. […] Il faut prendre des décisions fermes et intelligentes pour pouvoir garder les francophones, leur donner plus d’opportunités en français. […] Les Franco-ontariens ont bataillé fort pour avoir leurs droits. Il ne faudrait pas que ce qui a été conquis en termes de droits, en termes de qualité de vie à Cornwall s’étiole et se perdre. Et je suis convaincu que l’université peut aider aussi… […] C’est réaliste de pouvoir travailler complètement en français. C’est très simple, il faudrait que des industries qui viennent de Québec par exemple s’installent à Cornwall. »

Prochaine étape

« Je veux aller de l’avant et me concentrer sur le futur. La seule façon dont on peut le faire, c’est avec des fonds significatifs des autres niveaux de gouvernement. », s’est exprimée Sarah Good.

Le 9 juin prochain, les élus devront décider s’ils poursuivent le processus avec un plan d’affaires et la recherche de financement.

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