Reprendre des études à l’âge adulte : l’histoire de Christine

Des cheveux d’un blanc éclatant et un regard bleu perçant, la première fois que j’ai vu Christine, j’ai su que j’avais affaire à une intuitive. L’instinct et le bon sens sont des formes d’intelligence précieuses. Pourtant, nos sociétés « développées » n’y accordent qu’une importance secondaire. Sans diplômes, elle se débrouillait, mais ce n’était pas suffisant. Un jour, elle s’est lancée et elle a eu le courage de reprendre des études à l’âge adulte. Nous te racontons son histoire hors du commun.
Christine
Delphine Petitjean - Rédactrice en chef

On a le choix

Delphine Petitjean
Rédactrice en chef et journaliste

Delphine est diplômée en études de la communication et des médias ainsi qu'en rédaction web et enseignement. Elle a débuté en presse écrite en Belgique, puis s'est dirigée vers l'insertion professionnelle et la formation. Au Canada, elle a été chargée de projet, a eu quelques collaborations en rédaction, avant de se former à la réalisation documentaire et de co-fonder On a le choix Média.

Reprendre des études à l’âge adulte quand l’enfance est cabossée

De notre vie au Québec, nous gardons dans notre cœur une poignée de personnes et Christine en fait partie.  Elle a relevé le défi de reprendre des études à l’âge adulte.

Je la regarde faire : elle coût, cuisine, jardine… Elle rafistole un vêtement, prépare de quoi rassasier une tablée ou te fait sentir l’odeur des fleurs.

Toujours active, elle m’impressionne avec son énergie. Sa mission : s’assurer que ses invités se sentent bien. À la voir, on ne se doute pas qu’elle revient de si loin.

Ça rigole, on jase de tout et de rien, puis on se pose enfin pour cette entrevue et elle accepte de répondre à mes questions.

Avec émotion, elle va m’expliquer sa résilience et son parcours.

Christine est née au Nouveau-Brunswick, d’une fille-mère. Elle pense que ses parents étaient amoureux, mais leur jeune âge et le contexte ont fait qu’ils n’ont pas pu rester ensemble.

Ils auront quand même trois enfants qui sont rapidement placés chez différents membres de la famille.

Christine ne connaîtra jamais son père et dans les premières années de sa vie, elle est séparée de sa mère, son frère et sa soeur. Elle est d’abord élevée par un oncle et une tante. C’est un contexte difficile, elle subit toutes sortes de mauvais traitements.

Elle est régulièrement malade et rate l’école, jusqu’à être hospitalisée pour une longue période.

Arrêter l’école : elle ne finit pas le primaire

Comme souvent dans les familles dysfonctionnelles, les non-dits et les questions sans réponse entourent son histoire.

Elle n’a jamais vraiment su ce qui lui était arrivé, le dossier médical n’est pas très clair. Quoi qu’il en soit, cette pathologie mystère lui vaut d’arrêter ses études au niveau de la cinquième primaire.

Elle se retrouve isolée puisque l’école est le lieu de socialisation. L’année de ses douze ans, sa mère décide de reprendre ses trois enfants et la famille déménage à Québec. Là-bas, ils habitent chez la grand-mère.

C’est particulier, une fratrie éclatée qui se rassemble. Christine fait la connaissance de ses frères et sœurs et apprend à vivre avec eux.

Jusqu’à ses dix-huit ans, elle reste  à la maison. Quand je lui demande à quoi elle s’occupait pendant ces années, ses souvenirs sont d’abord flous, puis elle me parle de couture.

Elle explique surtout le décalage ressenti avec les autres enfants qui allaient à l’école. Je me doute que cette solitude l’a marquée et je comprends mieux comment on peut se construire en opposition à ça.

Aujourd’hui, je constate qu’elle a comblé le manque. Elle est très entourée et sa maison est toujours pleine de visite. C’est d’ailleurs grâce au soutien de ses proches qu’elle va pouvoir reprendre des études à l’âge adulte.

Sa vie d’adulte et de mère de famille sans scolarité

À dix-huit ans, Christine se marie avec le petit ami qu’elle fréquente depuis des années. Une porte de sortie vers le monde, pour quitter un foyer dans lequel elle ne reçoit pas assez d’affection.

Elle a conscience que ce mariage était précoce, mais comme elle dit, elle croyait tout savoir.

Moi, je pense que quand on avance sans trop de repères ou de soutien, on a bien le droit d’être un peu tête brûlée. Le très jeune couple aura deux enfants.

Elle m’explique qu’elle a toujours travaillé, qu’elle s’est débrouillée pour progresser à travers ses difficultés. Son mariage durera une dizaine d’années.

Vers trente ans, elle est divorcée du père de ses aînés et vit avec Denis, son conjoint actuel. Ils ont une fille ensemble.

À cette époque, elle a déjà beaucoup construit, mais il lui manque quelque chose : « Mes enfants, ils ont grandi et ça me titillait beaucoup cette histoire de ne pas avoir d’instruction ».

Je m’imagine ce que ça devait être de les voir traverser les années scolaires et de devoir les accompagner en masquant ses limites. Ils ne savaient pas que leur mère n’avait pas de diplôme.

Elle commence à envisager de retourner sur les bancs de l’école. Reprendre des études à l’âge adulte est une démarche compliquée. Bien sûr, elle doute et appréhende les réactions des gens autour d’elle.

Elle est gênée et s’inquiète par rapport à son fils et sa fille aînés. Elle ne veut pas risquer qu’ils la considèrent comme un exemple et arrêtent les efforts face aux difficultés d’apprentissage.

Reprendre des études à l’âge adulte : comment elle a sauté le pas

Pour avoir confiance, on a souvent juste besoin que quelqu’un croie en nous. Christine nous parle de son ami René. Il arrive à la convaincre qu’elle est capable de reprendre ses études. Comme tout grand changement, entre y penser et passer à l’acte, il y a tout un monde.

« J’ai fini par essayer d’appeler (le centre de formation pour adultes) et je dirais que j’ai dû raccrocher le téléphone au moins une dizaine de fois avant de trouver le courage de dire que je voulais retourner aux études ». Pour s’inscrire, elle doit se procurer son dernier bulletin de notes.

Sa famille avait préféré lui dire qu’elle n’était pas très bonne à l’école. Elle découvre qu’elle avait une moyenne de 80 %. Elle est bouleversée qu’on lui ait menti. Avec son tempérament, elle y voit sans doute une raison de plus pour enclencher le processus.

Une fois la décision prise, elle doit encore l’annoncer à ses enfants. Elle les accompagne le plus loin qu’elle peut et quand sa fille entre au Cégep, elle se lance !

Christine va recommencer le programme au niveau primaire, compléter son secondaire et finir par des études professionnelles.

Elle sera assez tenace pour aller au bout et elle soutiendra même ses camarades de classe pour qu’ils ne lâchent pas en cours de route. Je l’imagine très bien fédérer autour d’elle, comme je la vois faire aujourd’hui.

Parmi ses amis, certains sont universitaires et personne ne l’a jamais prise de haut. Sa force de caractère inspire de toute façon le respect.

Obtenir ses diplômes : une leçon de vie et un accomplissement

Les diplômes lui ont permis de faire une carrière, et aujourd’hui, de bénéficier d’une pension, mais ces papiers ne représentent pas que ça.

Depuis le début, elle avait décidé de ne pas baisser les bras. Pour la même histoire, chacun peut avoir une énergie différente en lui. Christine a toujours pensé être une gagnante !

Elle explique très bien que quand on ne connait pas autre chose que la dévalorisation ou la violence, on croit que c’est la normalité.

Plus tard, on découvre qu’il y a un autre monde, avec des occasions à saisir. Reprendre des études à l’âge adulte ne s’est pas fait sans peine, mais cette réussite est un bonheur pour elle.

Évidemment, elle aurait préféré recevoir plus de soutien, sauf qu’on ne choisit pas sa famille. Il y a ceux qui nous portent et ceux contre lesquels on doit apprendre à s’armer.

« Ma mère, elle m’a demandé pourquoi est-ce que je faisais ça (retourner aux études), elle disait que je perdais mon temps. Ça m’avait beaucoup choquée ».

Ne pas écouter les voleurs d’enfance

Elle parle de ces voleurs d’enfance et d’intelligence que sont les adultes toxiques et rappelle qu’il ne faut pas se laisser influencer pour ne pas s’éloigner du but que l’on s’est fixé.

Il faut conserver sa détermination et oser se donner la chance qu’on vous refuse, tout simplement. Sans ce combat, Christine ne serait probablement pas qui elle est aujourd’hui.

Je lui demande ce qu’elle apprécierait qu’on retienne d’elle : « La persévérance, l’espoir ».

Elle souhaite passer le message que même si on tombe, il faut se relever. J’adore le parallèle quand elle nous explique que dans sa vie, c’est comme en couture, elle peut recommencer un travail autant  de fois que nécessaire.

Retraitée heureuse, mère de famille, mamy aimante, femme accomplie, Christine est bien plus que tout ce qu’on lui destinait.

Ses yeux se sont mouillés quand elle racontait les difficultés scolaires de son fils. Elle savait qu’il s’en sortirait malgré les prédictions moroses des enseignants peu délicats.

Elle est fière de ne pas avoir écouté les mauvaises langues et surtout, fière de sa tribu! À la fin de l’entrevue, elle affiche un sourire franc et un regard droit.

Elle est la preuve vivante que tout est possible avec la volonté. Elle a mis son énergie dans ce retour aux études pour se construire une vie pleine et entière.

Une histoire qui se termine bien parce que Christine en a choisi la fin.

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