
On a le choix
Delphine Petitjean
IJL-Réseau.Presse-On a le choix
Rédactrice en chef et journaliste
Delphine est diplômée en études de la communication et des médias ainsi qu'en rédaction web et enseignement. Elle a débuté en presse écrite en Belgique, puis s'est dirigée vers le domaine de l'insertion professionnelle et de la formation. Au Canada, elle a été chargée de projet, a eu quelques collaborations en rédaction, avant de se former à la réalisation documentaire et de co-fonder On a le choix Média.

On a le choix
Raphaël Machiels
Directeur Technique et Caméraman - Monteur
Raphaël est diplômé en Techniques Cinématographiques et en Développement Web. En Belgique, il a travaillé pour la télévision nationale, ainsi que pour les télévisions locales en tant que caméraman - monteur. Il a aussi oeuvré sur des captations de concerts et d'évènements sportifs. Au Canada, il a travaillé dans le Web avant de co-fonder On a le choix Média.
Un enjeu qui divise
L’hiver dernier, on pouvait déjà voir des tentes plantées au beau milieu de la scène principale, dans le parc Lamoureux.
Avec un prix moyen avoisinant les 2 000 $ pour un logement de deux chambres et 3 500 personnes à la banque alimentaire locale chaque mois, de plus en plus de familles ont du mal à joindre les deux bouts.
En janvier dernier, la municipalité a reçu une pétition demandant le démantèlement des campements, en fonction des prérogatives provinciales. Le sujet était de retour à la table du conseil, le 9 juin dernier.
Lorsque les tentes sont trop nombreuses dans un périmètre trop rapproché des bâtiments publics, les officiers de la ville interviennent pour demander aux occupants de se déplacer.

Le conseiller Claude McIntosh a donc interpellé Mellissa Morgan, responsable des services sociaux et du logement : « Quand vous leur dites : « Vous ne pouvez pas rester là. », les gens vous répondent : « Où voulez-vous que j’aille ? » Et votre réponse est… ? ».
« Nous ne leur donnons pas de consignes, nous leur disons : « Vous ne pouvez pas être là. Vous devez trouver un endroit où aller et voici les lignes directrices d’où vous pouvez vous rendre. », a répondu Méllissa Morgan.
Et Claude McIntosh de poursuivre : « Je crois que le problème est qu’ils n’ont nulle part où aller, excepté plus loin dans la rue, dans le parc. Ce sont des gens qui vivent dans des tentes ! ».
Wayne Meagher, avocat et greffier intérimaire, a alors précisé que tout le monde avait le droit de profiter des endroits publics et qu’il y avait un équilibre en fonction des abris disponibles.
« Avec nos services de logement, nous n’essayons pas de juste trouver un équilibre, nous sommes sur une ligne étroite entre les droits individuels et la protection de la propriété publique. », a commenté la conseillère Elaine MacDonald.

Le dossier du logement
Le 9 juin dernier également, un rapport externe sur l’évaluation des besoins en logement a été présenté aux élus. D’après Mellissa Morgan, cette étude est une obligation imposée par le gouvernement fédéral pour certaines municipalités en fonction de leur taille.
Le rapport présenté a souligné que 39 % des revenus des ménages de la région étaient considérés comme bas à modérés, avec un revenu moyen de 60 000 $. Il était donc recommandé de supporter le logement abordable, notamment à travers le financement provenant des différents paliers de gouvernement.
Lors de cette séance du conseil municipal, Mellissa Morgnan a communiqué des informations utiles au sujet de la disponibilité des logements sociaux.
« Il y a environ 530 ménages qui sont sur une liste d’attente. Ce sont les aînés qui ont un logement le plus rapidement. Les familles peuvent attendre 2 à 3 ans, les adultes peuvent attendre au moins 4 ans […] Nous avons vu des gens attendre jusqu’à 7 à 10 ans, mais ce n’est pas toujours la moyenne. »
Intervention inattendue
Lors de la réunion du lundi 23 juin, le dossier du logement a été évoqué à nouveau. Des commentaires de l’assistance ont alors commencé à fuser. Le maire a rappelé qu’aucune délégation n’était prévue à l’agenda et que le conseil ne pouvait pas entendre les gens du public.

Pourtant, Jessica Boivin s’est levée. « Je vais être claire avec vous. Je suis une mère de 6 enfants qui vit en face de votre centre aquatique. J’ai été mise à la rue par votre système, votre gouvernement, votre ville. J’ai mon grand-père de 78 ans qui vit avec nous dans une tente en ce moment même. […] Nous vivons à Cornwall depuis 15 mois, nous avons demandé de l’aide pour mon mari qui a des problèmes de santé mentale. Nous sommes venus en Ontario pour quelque chose de meilleur et tout ce que nous avons, c’est un système défaillant. […]. Nous allons retourner dormir dans une tente ce soir, nous n’avons pas été autorisés à prendre une douche hier parce que ce n’était pas le bon horaire… Vous ne pouvez pas juger les gens pour leurs faibles revenus ou les réduire à un mauvais historique de crédit. J’ai été sur la liste d’attente de logement pendant 7 ans. Nous avons besoin d’une maison. Vous ne rendez pas cela important dans vos réunions. La situation de l’itinérance devrait être une priorité absolue. Les gens meurent dans la rue, ils n’ont pas l’aide dont ils ont besoin…3000 dollars par mois pour un 4 chambres, rien d’inclus, qui peut se permettre cela ? »
Au bout de quelques minutes, le maire est intervenu : « Cette réunion suspendue ». L’enregistrement vidéo s’est alors interrompu. Jessica Boivin dit avoir été escortée vers la sortie par la police, avant la reprise de la rencontre.
Santé mentale et dépendance
En plus d’être l’aidante naturelle de son grand-père, la mère de famille fait face à de multiples défis. « Mon mari a hérité de l’anxiété sociale et de l’anxiété généralisée et aussi un trouble d’attention sévère, un trouble d’abuseur de substances et un trouble de la personnalité limite diagnostiqué, suivi, encadré […] Vu qu’au Québec, les drogues étaient faciles d’accès, moi je n’en pouvais plus. Moi, je n’ai jamais consommé de ma vie. », souligne-t-elle.
Au sujet de sa situation actuelle, elle poursuit : « Hier, c’était une journée très difficile. Mon mari a eu un épisode. Le trouble de la personnalité limite fait que tu as l’impression que les gens t’attaquent… Il y a aussi beaucoup de gens aux alentours qui ont des problèmes d’addictions, puis qui alimentent les problèmes et ça n’aide pas. »
En 2024, Jessica a également été victime d’un accident de la route. « J’ai un sévère trouble post-traumatique. Je ne fais pas de voiture. »
Malgré ces difficultés, la jeune femme dit avoir tout fait pour briser un cycle générationnel. « Malheureusement, je viens d’une famille qui vit sur l’aide sociale »
« Ça peut arriver à n’importe qui »
Avant de venir à Cornwall, Jessica et son conjoint avaient quitté le Québec pour s’établir dans le Grand Toronto. Ils avaient tous deux une entreprise. « Ça peut arriver à n’importe qui. […] Ça allait bien, on avait un super bon crédit, on habitait dans un terrain de ferme éloigné, on était heureux. », se souvient-elle.
« En janvier 2021, les tuyaux ont explosé à cause du froid. » La famille a été évacuée de sa maison. Ce stress a provoqué une rechute pour son partenaire. « Il s’est remis à consommer. … J’ai dû tout prendre sur mes épaules, j’ai tout arrêté et je me suis consacrée à la famille et on n’a jamais été capables de se remettre […] Le premier but de s’établir à Cornwall était d’avoir l’aide médicale et la thérapie en français et après ça, de retrouver une vie normale…. On n’y arrive pas ! », laisse-t-elle tomber.
« Je comprends les gens qui vont dire : « Elle pourrait aller travailler puis mettre les enfants à la garderie. », mais la garderie, ça coûte de l’argent. Je vais aller travailler à un salaire minimum. »
Réponse de la Ville
Notre rédaction a offert un droit de réponse aux responsables de la municipalité. Lisa Smith, directrice intérimaire des services à la personne et des soins de longue durée a fait la déclaration suivante :
« Tout le monde mérite un endroit sûr et stable où vivre. Cette conviction est au cœur de notre travail à Cornwall et c’est pourquoi nous avons officiellement déclaré l’état d’urgence en matière de logement en mai 2022. Comme de nombreuses collectivités à travers le pays, nous constatons que de plus en plus de personnes ont du mal à se loger et que davantage de résidents sont confrontés au risque bien réel de se retrouver sans abri.
L’itinérance résulte de la conjonction de nombreux facteurs, notamment la hausse du coût de la vie, la pénurie de logements très abordables, les lacunes dans les services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie, la pauvreté et les conséquences durables des traumatismes. Ces défis sont complexes et interconnectés, et aucun ordre de gouvernement ne peut les relever seul.
Les campements sont l’un des signes les plus visibles et les plus difficiles de cette crise. Ils ne sont pas durables et ne correspondent pas aux aspirations de chacun, ni de la communauté. Mais pour certaines personnes, les campements sont devenus la seule option possible lorsque toutes les autres ont été épuisées.
L’équipe d’intervention rapide en matière de logement de la Ville visite régulièrement les zones de campement connues pour prendre des nouvelles, établir un climat de confiance et orienter les personnes vers des services de soutien et des possibilités de logement, lorsque cela est possible. Parallèlement, notre équipe du logement travaille quotidiennement avec des résidents qui risquent de perdre leur logement ou qui peinent à trouver un logement abordable. Nous nous engageons à aider les gens à s’y retrouver dans le système, à accéder aux ressources et à trouver un logement sûr et stable.
Il n’existe pas de solution simple à la crise du logement et de l’abordabilité. Un changement significatif exige du temps, des efforts soutenus et des investissements accrus. Le soutien continu des partenaires provinciaux et fédéraux est essentiel pour construire et entretenir des logements très abordables et pour fournir les services qui aident les gens à rester logés.
L'itinérance nous touche tous. C'est une responsabilité partagée, et nous demeurons déterminés à travailler avec nos partenaires et notre communauté pour faire en sorte que chaque personne à Cornwall ait un chez-soi.
Lisa Smith
Jessica dit avoir reçu la visite des officiers municipaux pour lui demander de se tenir à 150 mètres de distance du stationnement du centre aquatique ou de mettre son chien en laisse. « Le côté humain, vous ne l’avez pas. », déplore-t-elle.
2 réflexions sur “Une mère de famille interpelle les élus : « J’ai été mise à la rue par votre système ! »”
Great video. It really highlights the homeless issue that exists everywhere. Jessica’s story is tragic, touching, and troubling at the same time. I hope she’s able to resolve her issues quickly – especially for the sake of her child.
Yes, we hope too…Thank you for your comment.