
On a le choix
Delphine Petitjean
IJL-Réseau.Presse-On a le choix
Rédactrice en chef et journaliste
Delphine est diplômée en études de la communication et des médias ainsi qu'en rédaction web et enseignement. Elle a débuté en presse écrite en Belgique, puis s'est dirigée vers le domaine de l'insertion professionnelle et de la formation. Au Canada, elle a été chargée de projet, a eu quelques collaborations en rédaction, avant de se former à la réalisation documentaire et de co-fonder On a le choix Média.
Les priorités provinciales
Alors qu’elle était déjà effective pour 47 municipalités, le gouvernement de l’Ontario a proposé d’étendre la mesure des pouvoirs des « maires forts » à 169 communités supplémentaires, dont Cornwall. Le but de l’administration Ford serait de faciliter la mise en œuvre de priorités provinciales, comme la construction de logements, de transports en commun et d’autres infrastructures.
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Selon les informations contenues dans le site web du ministère, l’Ontario entend ainsi « rationaliser la gouvernance locale », « maintenir des contrôles essentiels grâce à la surpervision des conseillers municipaux », et « réduire les formalités administratives ».
Quelle portée pour les nouveaux pouvoirs ?
Les pouvoirs étendus des maires de l’Ontario ont été initialement instaurés en 2022, à Ottawa et à Toronto.
Lors du conseil municipal du 29 avril dernier, Wayne Meagher, avocat et greffier par intérim pour la Ville de Cornwall, était chargé de présenter les implications aux élus.
En vertu de cette loi, le maire peut ainsi :
- nommer un directeur général ;
- embaucher certains chefs des services municipaux et réorganiser les départements ;
- créer les comités du conseil, attribuer leurs fonctions et nommer leurs présidents et vice-présidents ;
- proposer le budget municipal ;
- potentiellement, opposer son veto aux règlements municipaux ou en proposer de nouveaux, en fonction des priorités provinciales.
Wayne Meager a précisé que pour faire appliquer ces nouvelles mesures, il n’y avait aucune obligation de solliciter le soutien d’une majorité ou des membres du conseil.
Questionnement sur l’application
Le conseiller Dean Hollingsworth a été le premier à poser une question à la suite de la présentation : « Est-ce que le maire va avoir l’autorité pour congédier le directeur général de la Ville ? ».
« La réponse est oui. Mais souvenez-vous que ces pouvoirs ont pour but de soutenir les priorités provinciales. Pour utiliser un pouvoir comme ça correctement, il faudrait déterminer que les priorités provinciales ne sont pas en quelque sorte encouragées par le directeur général. », a répondu Wayne Meagher.
« Qui détermine que le maire est à l’écoute des priorités provinciales ? Est-ce que c’est nous ? Est-ce que c’est la province ? », a alors demandé Dean Hollingsworth.
« Ça devra être déterminé par les preuves, il faudra que quelqu’un apporte les preuves et il devra le faire devant la Cour supérieure. », a expliqué le greffier.
Enjeux démocratiques
La quasi-totalité des conseillers s’est dite défavorable à ces nouveaux pouvoirs. Même s’ils ont précisé que leur réaction n’était pas dirigée contre le maire actuel, les élus ont exprimé une forte inquiétude pour la démocratie.
« Cette discussion est sans issue et mon point de vue inutile, mais nous perdons doucement notre démocratie locale, alors ça mérite quelques commentaires et questions. Nous voyons le recul de la démocratie aux États-Unis, où le pouvoir est centralisé de façon effrayante et nous en sommes là, à verser dans le même modèle en Ontario. Qu’une personne puisse engager et congédier le personnel municipal clef, dites-moi en quoi c’est relié aux priorités provinciales ? » a laissé tomber la conseillère Carilyne Hébert.
« Le budget devrait être public et approuvé par le maire et le conseil, point. », a estimé le conseiller Syd Gardiner. « L’ancien maire de Toronto a laissé partir 24 conseillers. Croyez-moi, cela ne devrait pas arriver ici et je crois que ce qui va se passer, c’est qu’ils vont commencer à regarder à réduire le nombre de personnes qu’ils peuvent avoir ici pour pouvoir progresser avec les pouvoirs forts au maire. »
« Je ne me souviens pas d’une seule fois où le conseil a été un empêchement à la construction de logements. », a lancé la conseillère Élaine MacDonald.
« C’est inutile. […] Ils ne font pas ça parce que c’est bon pour les communautés, mais juste parce qu’ils peuvent. […] Ils vont remplacer la structure de gouvernance municipale actuelle, nous n’aurons plus la démocratie que nous avons. […] Si le maire veut apporter son veto et le conseil n’est pas d’accord, ce sera presque impossible pour nous de nous opposer, en raison des défis légaux. Ça va engendrer un esprit de confrontation, alors que nous sommes ici dans le consensus. […] J’ai déjà changé d’opinion dans les discussions et j’espère que vous aussi. Nous apprenons les uns des autres. », a-t-elle souligné.
Transfert des responsabilités, zone grise et corruption potentielle
« Vous pourriez avoir un maire qui coupe dans les programmes sociaux pour pouvoir poursuivre la construction des maisons. », a commenté le conseiller Todd Bennet.
Il a estimé qu’il fallait clairement faire entendre son opposition. « Oui, nous devons construire des maisons, mais cela ne s’aligne pas avec le financement nécessaire pour le faire et la province veut remettre le blâme sur les conseils. »
Comme ses collègues, Denis Sabourin, a précisé que les priorités municipales n’étaient pas celles de la province. « Les municipalités sont la création des provinces et nous n’avons pas de reconnaissance dans la constitution. Nous n’avons pas de définition ou direction sur ce que nous sommes supposés faire et pourtant, nous sommes un corps élu. C’est pour ça, et je l’ai déjà soulevé, que je crois qu’il est temps que les rôles des municipalités soient clairement définis dans la constitution. », a-t-il expliqué.
La conseillère Sarah Good s’est quant à elle référée aux élections provinciales qui ont eu lieu en février dernier. « Ce n’était pas une des promesses faites et je ne crois même pas que ça a été mentionné. […] Il n’y a pas de mécanisme clair sur comment sera évaluée la raisonnabilité de l’exercice de ces pouvoirs […] Je pense que c’est potentiellement un instrument de corruption. »
Le conseiller Claude McIntosh a abondé dans le sens de ses collègues. « Je peux penser à des maires précédents à qui donner ce type de pouvoir aurait été comme fournir l’arme nucléaire à un dictateur […] « Puisque nous n’avons pas le choix, nous allons devoir vivre avec ça. »
Une seule voix favorable et un maire qui se veut rassurant
Le conseiller Fred Ngoundjo a été le seul à exprimer une opinion positive en lien avec cette nouvelle loi : « Je pense que ces pouvoirs peuvent rendre notre gouvernement municipal plus fort et plus démocratique. La plupart des électeurs ont déjà l’impression quand ils élisent un maire que cette personne se voit octroyer une autorité spéciale, au-delà d’être simplement un onzième conseiller. […] L’autorité additionnelle que le maire pourrait exercer renforcerait le rôle d’un officier élu par rapport à la bureaucratie. »
Le maire est intervenu après avoir entendu l’ensemble des argumentaires. « Je n’ai pas l’intention d’abuser de ces pouvoirs. »
Justin Towndale et Wayne Meagher ont également précisé tous les deux que ce n’était pas parce que ces pouvoirs existaient qu’il fallait nécessairement les utiliser.